J'ai toujours Ă©tĂ© intĂ©ressĂ© par les entreprises en gĂ©nĂ©ral, mais plus rĂ©cemment, en raison de Tomorrow.bio vision Ă long terme, je me suis davantage intĂ©ressĂ© aux entreprises qui ont fonctionnĂ© sans interruption pendant une très longue pĂ©riode. Dans un monde oĂą le taux de mortalitĂ© des startups est supĂ©rieur Ă 80 %, je suis Ă©tonnĂ© de voir comment certaines organisations ont rĂ©ussi Ă survivre pendant des centaines d'annĂ©es (certaines mĂŞme pendant plus d'un millĂ©naire !).Â
Normalement, les start-ups ont un cycle de vie bien dĂ©fini. Soit elles meurent rapidement, soit elles sont rachetĂ©es par une autre entreprise, soit elles grandissent suffisamment pour ĂŞtre introduites en bourse. Ce cycle de vie est conçu pour ĂŞtre relativement court : il s'agit de devenir grand ou de rentrer chez soi... rapidement.Â
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Dans notre cas, notre mission s'accompagne d'une sĂ©rie de dĂ©fis pour lesquels il n'existe pas de manuel de dĂ©marrage clair. Nous n'avons pas l'intention de vendre l'entreprise et nous devons veiller Ă ce qu'elle ne perde jamais sa mission Ă long terme. Mais en fin de compte, nous voulons que l'entreprise dure très, très longtemps. La première Ă©tape Ă©vidente consiste Ă atteindre le seuil de rentabilitĂ© et Ă rendre l'entreprise autosuffisante. C'est l'Ă©tape A-B-C de toute entreprise, mais ce n'est pas ce qui permet aux entreprises de durer aussi longtemps.Â
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Il y a plusieurs raisons Ă cela. J'ai fini par croiser un livre particulier qui a rĂ©ussi Ă trouver des modèles qui valent la peine d'ĂŞtre partagĂ©s. Le livre Shin Nihon Eitaigura (en anglais : Timeless Ventures) du professeur Haruo Funabashi explore 32 entreprises japonaises qui ont survĂ©cu pendant des siècles et ce qu'elles ont en commun. Il a dĂ©couvert huit principes d'entreprise qui, en rĂ©sumĂ©, assimilent la longĂ©vitĂ© et la durabilitĂ© des entreprises Ă un certain groupe d'objectifs organisationnels. Dans les entreprises centenaires du Japon, ces objectifs visent Ă soutenir l'organisation Ă long terme et les bĂ©nĂ©fices qu'elle apporte Ă la sociĂ©tĂ©.Â
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Je suis tout Ă fait d'accord avec ces principes, sans le cĂ´tĂ© "nous sommes en train de changer le monde" que l'on retrouve dans le monde des startups. Nous parlons d'entreprises qui ont survĂ©cu Ă de multiples guerres, qui ont vu des dynasties s'Ă©lever et tomber, des transformations de la sociĂ©tĂ© et tout ce qui vient avec le passage du temps.Â
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Le Japon est un pays très ancien. C'est la nation dont l'intégrité territoriale est la plus ancienne au monde. Sa géographie insulaire l'a protégé des invasions continentales pendant des générations, ce qui lui a permis d'accroître sa population et de prospérer. Ces éléments ont également influencé la longévité d'une série d'organisations au Japon. D'autres pays bénéficient du même type de protection géographique, alors pourquoi le Japon possède-t-il la plus grande concentration d'entreprises les plus anciennes au monde ? La géographie n'est pas une réponse suffisante.
Le Japon a :
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Darwin a supposĂ© que les organismes qui survivent ne sont pas les plus forts ou les plus intelligents, mais ceux qui s'adaptent le mieux au changement. Il semble que le mĂŞme principe s'applique aux entreprises. Ce ne sont pas les entreprises les plus grandes ou les plus riches qui survivent (combien de grands empires corporatifs avons-nous vu s'effondrer ces dernières annĂ©es), mais celles qui sont capables d'Ă©voluer en rĂ©ponse aux changements de la sociĂ©tĂ©. Il s'agit lĂ d'une prĂ©somption très puissante.Â
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Les traditions japonaises sont fortement ancrées dans la pensée collective de ses habitants. C'est le pays qui possède la plus longue histoire ininterrompue de souveraineté nationale au monde et il est connu pour avoir démontré son soutien aux traditions dans leurs formes les plus typiques.
Une citation de Peter Drucker dit que "la culture mange la stratĂ©gie au petit dĂ©jeuner". MĂŞme si, Ă l'origine, Drucker voulait dire qu'une culture puissante et responsabilisante Ă©tait une voie plus sĂ»re vers le succès organisationnel, il en va de mĂŞme pour les marchĂ©s. Quelle que soit la stratĂ©gie de votre entreprise, la culture locale prĂ©vaudra toujours. C'est pourquoi la culture japonaise est peut-ĂŞtre l'un des facteurs les plus importants pour la pĂ©rennitĂ© d'une organisation.Â
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Les Japonais estiment que l'objectif d'une entreprise n'est pas simplement de gagner de l'argent ou d'enrichir quelques individus, mais de contribuer Ă la prospĂ©ritĂ© de l'ensemble de la sociĂ©tĂ©. En d'autres termes, les entreprises japonaises qui ont survĂ©cu ont des objectifs de durabilitĂ© Ă long terme qui profitent Ă la sociĂ©tĂ© plutĂ´t qu'aux individus. Cela semble ĂŞtre la clĂ© du succès pour soutenir les organisations et favoriser leur longĂ©vitĂ©.Â
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Les entrepreneurs japonais considèrent qu'une entreprise est un hĂ©ritage Ă prĂ©server et Ă transmettre aux gĂ©nĂ©rations futures. Ils ne la "possèdent" pas comme un bien personnel.Â
Wow. J'ai toujours été fasciné par le mot "héritage" et sa signification. Si vous pensez à l'histoire et aux traditions qui ont traversé les siècles, la plupart du temps leur message principal est centré sur le bien commun.
Cette perspective commerciale est ancrée dans l'idée de la famille et influencée par le concept confucéen de piété filiale, qui est une vertu de respect pour les parents, les aînés et les ancêtres. En termes plus généraux, la piété filiale signifie qu'il faut être bon envers ses parents, prendre soin d'eux, avoir une bonne conduite et faire preuve d'amour, de respect et de soutien. En fin de compte, il s'agit de faire preuve de courtoisie et d'apporter une bonne réputation à ses parents et à ses ancêtres.
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L'aspect intĂ©ressant de cet Ă©tat d'esprit est qu'il devient difficile pour le propriĂ©taire de fermer l'entreprise, de la vendre ou d'utiliser ses actifs ou ses revenus Ă des fins personnelles. Ce qui compte ici, c'est de construire un hĂ©ritage pour le bien commun, et non un hĂ©ritage pour l'ego. Encore un exemple de la culture locale japonaise qui aide les entreprises Ă survivre et Ă prospĂ©rer. Il est difficile d'imaginer, surtout dans mon cas puisque je viens du BrĂ©sil, quel type de transformation des mentalitĂ©s sociales (du bas vers le haut) serait nĂ©cessaire pour qu'un pays puisse prospĂ©rer de cette manière.Â
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Autre fait intéressant, les chefs d'entreprise japonais ne pensent pas que leur entreprise soit simplement un lieu où les employés vendent leur temps et leur travail contre de l'argent. Ils ne pensent pas non plus que la relation fondamentale entre les travailleurs et les entreprises soit hostile et conflictuelle.

Cela s'explique Ă©galement par la philosophie des employĂ©s japonais (et de la sociĂ©tĂ© en gĂ©nĂ©ral) Ă l'Ă©gard de leur lieu de travail et de leur employeur.Â
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Les salariĂ©s japonais estiment que leur lieu de travail est un moyen d'Ă©panouissement personnel, tant sur le plan professionnel que personnel. Leur environnement de travail leur procure un sentiment d'appartenance, de satisfaction et d'utilitĂ©. Cela explique Ă©galement pourquoi les employĂ©s japonais ont tendance Ă ĂŞtre très attachĂ©s et loyaux envers les organisations pour lesquelles ils travaillent. Cette leçon a Ă©tĂ© apprise il y a des siècles par les chefs d'entreprise du pays et, par consĂ©quent, le fait de traiter les employĂ©s avec respect et loyautĂ© favorise la pĂ©rennitĂ© des organisations. Les entreprises dĂ©ploient beaucoup d'efforts pour s'assurer que leurs employĂ©s se sentent heureux et Ă©panouis au travail.Â
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Remarque rapide : le Japon a l'un des taux de suicide liĂ©s au travail les plus Ă©levĂ©s au monde, ce qui semble quelque peu contradictoire avec l'affirmation selon laquelle les entreprises s'efforcent d'assurer le bonheur de leurs employĂ©s. Il n'existe pas de donnĂ©es sur les cas de suicide liĂ©s au travail et sur les entreprises les plus anciennes du Japon, ce qui semble toujours prouver que la plupart de ces entreprises traitent leurs employĂ©s de manière Ă©quitable. Â
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Le Japon a Ă©tĂ© très influencĂ© par la religion et la philosophie, qui mettaient l'accent sur la coprospĂ©ritĂ© en prĂ©servant les traditions et les valeurs.Â
Ces traditions et ces valeurs ont Ă©tĂ© transmises de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration parce que les Japonais les respectent beaucoup. Ces traditions et valeurs ont donc jetĂ© les bases d'une philosophie spirituelle cohĂ©rente qui a permis l'Ă©mergence de valeurs telles que l'harmonie, la coexistence et le respect des personnes. Ce qui a finalement permis de dĂ©velopper une sociĂ©tĂ© et une culture d'entreprise fondĂ©es sur la confiance.Â
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De toutes les religions et traditions philosophiques du Japon, le bouddhisme a joué un rôle important dans le développement de cette société basée sur la confiance. Il souligne l'importance de l'amour pour toutes les formes de vie et la nature. Ce noble message a été assimilé par le peuple japonais et il est fortement ancré dans son cœur.
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Il n'est donc pas vraiment surprenant que de nombreux employés japonais abordent le travail avec un état d'esprit façonné par l'école zen du bouddhisme. Les écoles zen ont influencé la société japonaise en intégrant des valeurs telles que la valeur du travail des personnes, la perfection du travail, l'excellence sur le lieu de travail et l'équité dans les relations avec les employés. Elles ont contribué à façonner la conscience collective de la main-d'œuvre japonaise en fixant des objectifs pour atteindre un "moi supérieur" tout en soutenant le bien commun de la nation.
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Le professeur Funabashi a dédié son livre à tous les entrepreneurs qui souhaitent ou qui sont en train de créer des entreprises qui serviront leurs concitoyens pendant de nombreuses années. L-E-G-A-C-Y. Le message est si fort que j'ai décidé de faire une série de petits billets sur les 8 principes qu'il a présentés et sur les entreprises qu'il a utilisées comme exemples de ces principes. Les principes sont de nature générique car ils peuvent être appliqués à tout type d'entreprise.
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Je pense que cette sĂ©rie apportera une perspective diffĂ©rente aux personnes intĂ©ressĂ©es par la manière de faire des affaires en visant une VRAIE durabilitĂ© Ă long terme, ce qui est extrĂŞmement pertinent dans l'industrie de la cryogĂ©nisation.Â
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Ce livre m'a vĂ©ritablement influencĂ©. Il semble assez contre-intuitif pour la scène des startups. L'ère du capital-risque et des liquiditĂ©s Ă©levĂ©es a poussĂ© les entreprises Ă l'hypercroissance et Ă l'hyperdĂ©pense, ce qui a très souvent mis en pĂ©ril la construction d'entreprises dotĂ©es d'une Ă©conomie unitaire saine et d'une culture durable. Les entreprises qui ont suivi les principes prĂ©sentĂ©s dans le livre du professeur Funabashi disposent d'un code de conduite solide (dont certains sont vieux de plusieurs siècles) suivi par tout le monde, de la direction gĂ©nĂ©rale aux employĂ©s les plus modestes. Elles prĂ´nent la frugalitĂ© et la modĂ©ration dans la vie, par opposition Ă l'aviditĂ© de croissance Ă tout prix et au gaspillage des ressources, si frĂ©quents dans la phase de dĂ©marrage. Ils croient fermement que les personnes sont au cĹ“ur de la croissance et que l'argent et les biens ne peuvent Ă eux seuls remplacer les personnes. Cela semble Ă©vident, mais ça ne l'est pas. Au moment oĂą j'Ă©cris ce texte, nous voyons des startups surĂ©valuĂ©es qui ont rĂ©cemment levĂ© des millions de dollars et qui licencient en masse les personnes qu'elles ont embauchĂ©es il y a quelques mois. Pensez-vous que ces entreprises ont une culture de loyautĂ©, de durabilitĂ© et de respect commun ? Si je devais choisir un modèle d'inspiration pour Tomorrow.bio entre la scène des startups technologiques fantaisistes, hypermĂ©diatisĂ©es et très gourmandes en argent et les institutions japonaises sĂ©culaires, je choisirais la seconde. Toujours.Â